"Alexandra Kollontaï : la Walkyrie de la révolution"

d'Hélène Carrère d’Encausse

Fayard/Pluriel 2022

Je termine le livre sur Alexandra KollontaÏ, pratiquement le jour même du décès d’Hélène Carrère d’Encausse, son auteur (et non autrice, terme que n’aimait pas notre Secrétaire Perpétuel de l’Académie Française…). Ce livre, très documenté, a été publié en 2022, alors qu’Hélène Carrère d’Encausse avait 93 ans. Elle nous révèle – pour beaucoup – qui était cette Alexandra née à St Pétersbourg en 1872, aristocrate russe qui rejette son milieu, femme politique, socialiste, puis communiste. On la trouve participante à la révolution de 1905 et de 1917, en exil, en prison, aux affaires politiques… Elle était initialement menchévik, impliquée dans la défense du parti socialiste ouvrier, avant de devenir bolchevik et de soutenir Lénine. Elle fera partie de son premier gouvernement comme commissaire du peuple (ministre), une fonction tout à fait exceptionnelle pour une femme à cette époque. Tout au long de sa vie, elle a gardé un esprit critique vis-à-vis de la classe politique, de Lénine et de sa politique. Elle a été toutefois plus circonspecte avec Staline qui, fait remarquable, l’épargnera.

Les témoignages de l’époque et les photos nous révèlent une femme de belle prestance, élégante, raffinée et cultivée. Rien de la passionaria échevelée et agitée. Elle laisse une œuvre littéraire qu’il pourrait être utile un jour de compulser. Femme libérée, militante pour l’amour libre, elle connaitra plusieurs amours passionnés dans sa vie, mais c’est aussi une mère attentionnée et toujours présente pour son fils. Elle est brillante, élégante, convaincante, on l’appelle pour défendre des causes difficiles, du fait de ses qualités de tribun. C’est la « Walkyrie de la révolution », selon Hélène Carrère d’Encausse.

Elle a le souci des autres femmes, elle soutient notamment les droits des ouvrières du textile, elle défend avant l’heure le droit des femmes et leur émancipation. Ses convictions sont contemporaines de celles des militantes de la Women’s Social and Political Union au Royaume Uni qui milite pour le droit de vote des femmes. Elle développe l’idée d’une famille collective : l’enfant n’est pas la « propriété » des parents, soutient-elle, il est élevé en communauté qu’il servira par la suite, loin de la famille traditionnelle.

Elle est extrêmement brillante, parle 5 ou 6 langues, écrit et fréquente des intellectuels et des hommes politiques dont elle connait la dangerosité. Elle aura fréquenté Staline qui lui offre une carrière d’ambassadeur en Finlande puis en Suède – elle excellera dans les relations commerciales puis diplomatiques entre la Finlande, la Suède et la Russie. Elle décède en 1952 à Moscou. Ainsi elle aura participé aux débuts de la révolution russe d’octobre 17 et survivra aux différents conflits entre ses initiateurs.

L’ouvrage relate ces époques troublées avec beaucoup d’intelligence et de clarté, malgré leur complexité, ceci grâce à la maitrise d’Hélène Carrère d’Encausse qui démontre une fois de plus qu’elle est une très grande historienne de la Russie. Le livre est passionnant, il nous fait découvrir Alexandra Kollontaï, une grande dame, méconnue du public, mais dont le destin hors du commun capte le lecteur, d’un bout à bout de cet ouvrage.

Pierre Corvol

16 août 2023